Le formaldéhyde, ou aldéhyde formique, est un composé organique largement utilisé en raison de ses propriétés biocides, de fixateur et de liant (1). Il est pourtant classé cancérogène avéré pour l’homme et impose à ce titre quelques précautions d’usage.
Àtempérature ambiante, le formaldéhyde est un gaz inflammable incolore et d’odeur suffocante. Après l’adjonction du méthanol, il va se transformer en liquide pour être commercialisé sous forme d’une solution aqueuse, le formol. 186 000 salariés y sont exposés chaque années en France dans des secteurs professionnels très divers, dont les activités de soins (2). Dans les établissements de santé, il est principalement utilisé pour ses propriétés conservatrices, afin de fixer les tissus biologiques. On le retrouve également dans les laboratoires d’anatomie et cytologie pathologiques (ACP), dans les blocs opératoires, en thanatopraxie, et dans la composition de réactifs en laboratoires de biologie médicale.
Un produit dangereux
Pourtant, le formaldéhyde et ses solutions aqueuses sont classés sur le plan règlementaire comme agents CMR (Cancérogène, Mutagène et toxique pour la Reproduction). Pour le Centre International de Recherche sur le Cancer (3), le formaldéhyde est classé cancérogène avéré pour l’Homme (groupe 1) pour la cancer du nasopharynx depuis 2004, et pour les leucémines depuis 2012 (4). En 2014, il est également classé, au niveau européen, cancérogène présumé (C1B) et mutagène suspecté (M2). La principale voie d’exposition au formaldéhyde repose sur l’inhalation : cette substance très volatile se dépose facilement dans les voies respiratoires, favorisant l’apparition d’asthme. À des concentrations dans l’air supérieures à 5 ppm (6,25 mg/m3), elle peut provoquer des lésions irréversibles sur les yeux et le système respiratoire, voire des bronchospasmes et des œdèmes aigus des poumons, à plus forte concentration (5). Le formaldéhyde est également corrosif sous la forme aqueuse : une projection accidentelle de formol peut causer des lésions cutanées et oculaires(6), tandis qu’une exposition à long terme, même à de petites quantités, provoque des réactions allergiques de type eczéma. Certaines pathologies dues à l’exposition à ce produit chimique sensibilisant respiratoire et cutané, comme les manifestations allergiques et le carcinome du nasopharynx, peuvent d’ailleurs être reconnues comme maladie professionnelle (6 et 7).
Des risques méconnus
Malgré ces risques avérés, la réalité du terrain est complètement différente. Un constat confirmé par Sandrine Remy, docteur en chimie et contrôleur de sécurité au service prévention de la direction régionale des risques professionnels de la caisse régionale d’assurance maladie d’Île-de-France : “Les risques chimiques en milieu hospitalier sont souvent très sous-estimés, voire méconnus par le personnel soignant et les employeurs. Les accidents de travail (AT) liés aux Agents Chimiques Dangereux (ACD) sont rares mais souvent graves (brûlures, intoxication), et les maladies professionnelles (MP) reconnues liées aux ACD ne représentent que 11 % des MP (dont 8 % pour l’amiante) “.
Elle poursuit : “Les effets des expositions chroniques apparaissent de façon différée dans le temps et c’est à la victime de faire la démarche pour obtenir la reconnaissance de sa maladie professionnelle. Les MP seraient donc souvent mal diagnostiquées, et prises en charge par le médecin traitant en tant que maladies non professionnelles. Il est dès lors indispensable de conseiller les employeurs d’identifier sur le terrain les situations d’exposition aux ACD, afin d’évaluer les risques chimiques et de ne pas se contenter uniquement des statistiques AT/MP de l’établissement pour prendre des mesures de prévention (8) “.
Une obligation légale pour les employeurs
D’autant que la prévention des risques professionnels représente une obligation légale pour les employeurs. Elle trouve son origine la directive-cadre européenne 89/391/CEE du 12 juin 1989 (9), qui a notamment imposé aux employeurs de prendre les mesures nécessaires pour la protection des travailleurs. Sa transposition dans le droit français a donné lieu à la loi n°91-1414 du 31 décembre 1991, qui a modifié le code du travail et le code de la santé publique en vue de favoriser la prévention des risques professionnels. Pour aider l’employeur à mieux gérer la santé et la sécurité au travail (10), la loi du 17 janvier 2022 est également venue réaffirmer les compétences pluridisciplinaires des services de santé au travail.
Les entreprises peuvent également s’appuyer sur l’Assurance Maladie – Risques professionnels qui, en tant qu’assureur social des salariés du régime général, les conseille, accompagne et contrôle dans la mise en œuvre technique et organisationnelle des mesures de prévention. Elle a notamment mis en place un programme d’accompagnement Risques Chimiques Pros 2019-2022. Rappelons que les décrets de 2001, 2003 et 2009 ont modifié le code de travail pour instaurer des obligations à l’employeur envers les travailleurs en matière de prévention des risques chimiques. Les entreprises ont aussi, depuis 2001, l’obligation de créer et de mettre à jour annuellement – et autant que de besoin – un document unique d’évaluation des risques professionnels, quels qu’ils soient. Celui-ci repose sur 4 piliers avec l’identification et l’évaluation des risques puis l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan d’action de prévention.
Les infirmiers du bloc opératoire, un métier particulièrement exposé
Une démarche d’évaluattion des risques chimiques dans tous les secteurs concernés doit dès lors être réalisée régulièrement. Dans ce cadre, le Dr Sandrine Remy intervient de façon régulière dans plusieurs établissements de santé. L’une de ses missions consiste à identifier les risques chimiques et notamment les situations d’exposition des salariés, pour permettre d’accompagner les employeurs dans le choix des mesures de prévention. “Les postes les plus exposés sont là où le personnel est amené à réaliser des opérations de remplissage de seaux avec du formol pour fixer les pièces anatomiques, des ouvertures de flacons non sécurisés préremplis de formol lors de prélèvements biopsiques au bloc opératoire, ainsi que la réception des échantillons en laboratoire ACP. Le poste de l’infirmier du bloc (IBODE) est ici particulièrement exposé “, note-t-elle en rappelant l’existence de recommandations émises par l’Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS) et notamment sur la prévention des risques dans les laboratoires ACP (13).
Bien s’équiper pour bien se protéger
Sandrine Remy insiste également sur le fait que ” la prévention des risques chimiques sur les lieux de travail se fonde prioritairement sur le principe de la suppression du produit chimique, sinon que la substitution, qui vise à remplacer un produit dangereux par un autre produit non ou moins dangereux “. C’est d’ailleurs là tout l’enjeu de la règlementation CMR, qui impose à l’employeur de chercher en priorité à supprimer les risques, en mettant par exemple en place des procédés sécurisés innovants. Dans le cas du formol, la technique de conservation des pièces anatomiques fraîches par mise sous vide, voire sous atmosphère modifiée protectrice, et leur conservation entre 0 et 4 °C pendant 72 h maximum avant fixation au laboratoire ACP, permet de répondre à ces exigences (11).
Lorsque le risque n’a pas pu être supprimé, la recherche d’une solution de substitution est une obligation qui prévaut sur toutes les autres mesures de réduction du risque. Mais le formol n’est pas toujours techniquement substituable, du fait de ses priopriétés de conservation, de son fort pouvoir biocide ainsi que des techniques analytiques spécifiques utilisées. Des alternatives existent, mais leur utilisation en routine n’est pas recommandée en raison de nombreuses difficultés techniques à résoudre (12 et 13).
Si les agents chimiques dangereux ne peuvent être ni supprimés, ni substitués, leur exposition doit être réduite au niveau le plus bas techniquement possible. La mesure de prévention prioritaire repose ici sur la manipulation en système clos, obligatoire pour les CMR 1A et 1B. Pour les pièces anatomiques, on peut par exemple retenir le remplissage automatique étanche du formol dans des seaux puis leur thermoscellage, tandis que les prélèvements biopsiques peuvent s’appuyer sur des flacons sécurisés conditionnés avec du formol prêt à l’emploi. Si les émissions d’ACD ne peuvent être supprimées ou manipulées en vase clos, il convient de mettre en œuvre un captage à la source le plus efficace possible, en tenant notamment compte de la nature, des caractéristiques et du débit des polluants, des spécificités des locaux ainsi que des mouvements de l’air (14). Des dispositifs de captage à la source efficaces sont par exemple des dosserets aspirants enveloppants, comme des tables de macroscopie ou des sorbonnes, avec rejet d’air à l’intérieur d’un local à pollution spécifique est proscrit, notamment lors de l’utilisation de CMR. S’il n’est techniquement pas possible de capter à leur source la totalité des polluants, les polluants résiduels doivent être évacués par la ventillation générale du local. Cette dernière dilue toutefois simplement les polluants par ajout d’une compensation d’air neuf et ne peut être admise comme technique d’assainissement (10). Enfin, en cas de risque résiduel, les Équipements de Protection Individuelle (EPI) peuvent compléter ces mesures de prévention collectives.
” Cependant, ces exigences règlementaires ne sont pas respectées dans les blocs opératoires, où la manipulation du formol est courante et banalisée. Les salariés des blocs opératoires remplissent des seaux de formol dans une salle parfois non ventillée, et sans manipulation en système clos. Lors des prélèvements biopsiques, l’infirmier ouvre et laisse parfois ouverts plusieurs flacons non sécurisés préremplis de formol au cours de la journée, s’exposant chroniquement à l’inhalation de formol – sans compter les renversements accidentels de flacons, affirme le Dr Remy. L’employeur a l’obligation de vérifier la conformité à la VLEP (Valeur Limite d’Exposition Professionnelle) règlementaire contraignante du formaldéhyde, par la réalisation de prélèvements atmosphériques individuels annuels. Mais le respect de la VLEP pour un travailleur ne signifie pas une absence d’exposition de ce travailleur : il doit être considéré comme exposé. Ces contrôles viennent en complément des contrôles périodiques des équipements de protection collective (16) “.
Et si l’on supprimait complètement le contact ? Le procédé barrière existe.
Pour réduire l’exposition des personnels au niveau le plus bas techniquement possible, le Dr Sandrine Remy met l’accent sur l’un des moyens les plus efficaces et faciles à instaurer, qui serait le travail dans un système clos pour séparer le personnel du produit CMR. Concrètement, dans le cas de prélèvements biopsiques, la manipulation en vase clos repose sur l’utilisation de flacons sécurisés conditionnés de formol à 4 % prêts à l’emploi, ce qui permettra d’éviter les expositions au formaldéhyde pendant les phases d’ouverture des flacons au bloc opératoire et lors de leurs déversements accidentels. De tels flacons existent déjà sur le marché. “L’acheminement des flacons de formol par les laboratoires ACP est souvent réalisé par des prestataires non formés aux risques chimiques et exposés au formol dans leur véhicule. Les flacons prêts à l’emploi permettent de sécuriser cette étape et d’éviter toute exposition accidentelle “, ajoute Sandrine Remy.
En résumé
Le formol est un produit très utilisé en milieu hospitalier pour la conservation des prélèvements biopsiques et des pièces anatomiques. C’est néanmoins un produit chimique dangereux classé CMR, dont la manipulation peut exposer à des risques d’apparition de maladies à court et à long terme. La règlementation concernant la prévention des risques chimiques permet de guider les employeurs afin de respecter leur obligation de résultat pour prévenir leurs salariés de l’exposition aux agents chimiques dangereux.
La réalité du terrain a montré que les risques liés à l’utilisation du formol sont très mal connus aussi bien par les employeurs que par le personnel manipulateur. Il semble nécessaire de former les utilisateurs et de rechercher des procédés innovants supprimant le formol, sinon permettant de l’utiliser en vase clos pour éviter tout contact avec cet agent chimique dangereux.
- (1) – Le formaldhéyde s.I. INRS, ED 5032, 2088
- (2) – Les expositions aux risques professionnels. Les produits chimiques. Beryl Matinet, Elodie Rosankis, Dr Martine Léonard. Synthese. Stat’. Num32, 2020.
- (3) – IARC Monographs on the Evaluation of Carcinogenic Risks to Humans. Formaldehyde, 2-Butowyethanol and 1-tert-Butoxypropan-2-ol. Lyon, International Agency for Research of cancer, 2006.
- (4) – Chemincal agent and related occupations. Lyon, International Agency for research on Cancer, 2012.
- (5) – Aldéhyde formique et solutions aqueuses. s.I. INRS, Fiche toxicologique FT7, 2020.
- (6) – Exposition professionnelle au formaldéhyde et effets sur la santé. s.I Institut de Veille Sanitaire, 2006.
- (7) – Travail et produit chimique : liaisons dangereuses. Pays de la Loire, DIRECTE, 2011.
- (8) – Les maladies professionnelles. s.I NRS, ED 835, 2016.
- (9) – Évolution de la médecine du travail. Dr Crouzet, 2012.
- (10) – Aide mémoire juridique. s.I INRS, TJ, 2019.
- (11) – Alternatives potentielles au formaldéhyde en anatomie et cytologie pathologiques humaines. Avis de l’Anses. Rapport d’expertise collective, 2019.
- (12) – Le formol à l’hôpital : utilisation, risques, recommandations. s.I APHP/PAPRIPACT, 2008.
- (13) – Laboratoires d’anatomie et de cytologie pathologiques. s.I. INRS, ED 6185, 2014.
- (14) – Arrêté du 16 juillet 2007.
- (15) – Circulaire DRT n°12 du 24/05/2006.
- (16)- Arrêté du 8 octobre 1987.
Article Hospitalia : https://fr.calameo.com/read/005129873d41e5d7b9eda